lundi 14 janvier 2013

Contre les prétendus philosophes


La philosophie doit exposer le plus clairement possible un sujet, ce n'est pas de la Littérature. C'est à cette aune que je rassemble les griefs suivants :

Les professeurs de philosophie et même la plupart des philosophes reconnus récents abusent d'un jargon inutile. Ce jargon n'est pas la précision qui donne son crédit à une science, mais une façon de briller illusoire et surtout un appareil contreproductif générateur de la plus grande confusion.
Ce jargon va de pair avec un assemblage de phrases qui se veulent tellement posées, tellement le signe d'une nuance, qu'un paragraphe devient une suite d'énoncés en biais par rapport à la problématique soulevée, bien que le philosophe puisse suivre rigoureusement les articulations d'un plan.

Le philosophe s'adresse directement à d'autres spécialistes, il ne procède jamais à des mises au point élémentaires. Son discours n'est accessible qu'à ceux qui ont une familiarisation quasi quotidienne avec son sujet. Ce n'est pas normal. Même devant des étudiants en philosophie, ces mises au point sont indispensables. Même devant d'autres spécialistes, même devant soi-même, les mises au point claires et élémentaires sont indispensables.

Il n'est pas normal d'apprécier comme densité philosophique positive la démarche d'écriture qui consiste à replier de l'abstraction sur de l'abstraction. C'est un phénomène extrêmement inquiétant.

Qu'un philosophe cite quarante auteurs dans un paragraphe, c'est aberrant, il ne fait plaisir qu'à son ego. Quelle substance philosophique tirer de l'énumération de quarante noms plus ou moins connus dans un milieu intellectuel donné? C'est pour moi plutôt le signe que j'ai affaire à du pipeau.

Je trouve aberrant que les philosophes puissent passer du coq-à-l'âne. Un texte qui part dans tous les sens, ce n'est pas un écrit philosophique pour moi, c'est du sophisme qui ne dit pas son nom.

Je ne trouve pas normal que les philosophes s'expriment par images et métaphores. Ils ouvrent des perspectives illimitées dont le lecteur va devoir se débrouiller. Ce n'est pas acceptable. Non, Ainsi parlait Zarathoustra n'est pas un livre de philosophie, quelles que soient ses qualités et celles de son auteur. Il faut être clair à ce sujet.

Si des métaphores sont déployées, il faut les justifier, ce qui suppose une définition adéquate. Il faut en philosophie neutraliser le fonctionnement métaphorique des mots. C'est une fausse subtilité que de croire à leur légitimité philosophique mettant un terme au régime arrogant de la certitude, l'arrogance étant bien plutôt de l'ordre du métaphorisme outrancier.
Si on emploie le mot "machine" pour les humains, psychisme et organes, il faut dire pourquoi cette métaphore est choisie, pourquoi elle est juste, pertinente et éclairante. Il faut donner le sens nouveau du mot au plan métaphorique et montrer qu'il s'inscrit bien avec justesse dans le nouveau cadre qui lui est donné. C'est pareil pour le mot "schizophrénie". Et je pense à Deleuze, dont l'oeuvre métaphorique me paraît extrêmement grossière. Il veut séduire et ses citations datées d'Artaud, intellectuel et poète qui n'a pas tenu l'épreuve du temps, ne sont certainement pas un bon signe de la valeur philosophique de ses écrits.

On comprendra que beaucoup de penseurs au verbiage littéraire ne sont pas des philosophes pour moi : Deleuze et beaucoup d'autres. Mais, je pense encore m'attaquer à d'autres auteurs qui semblent pourtant bien rigoureux. J'ai dénoncé les métaphores chez Nietzsche qui laissent trop la part belle à l'interprétation et aux prolongements personnels, bien que Nietzsche soit autrement sérieux qu'un Deleuze, un Bourdieu, un Jankélévitch, un Lévinas ou un Derrida. Mais, je sens que j'ai d'autres modes de nuisance à dénoncer. Foucault, Simondon, Rosset, Gusdorf, Meschonnic, etc.

J'estime que pour briller certains philosophes mettent leur semblant de rigueur et leur érudition du côté d'une pensée suivie, mais non pondérée, histoire de laisser leur empreinte.

Il me semble enfin que la philosophie doit répondre à une question dans les limites du possible et doit rendre aussi des conclusions sur ce qui a empêché la réflexion d'aboutir de manière satisfaisante. Je lis des travaux de professeur de philosophie qui lancent des problématiques buissonnantes où les conclusions ne témoignent en rien d'une prétention philosophique quelconque, à supposer même que le travail aboutisse à des conclusions autres qu'artificielles. Mais je constate aussi le déploiement de travaux reconnus qui ont une rigueur philosophique exclusivement dans des détails et pas du tout au niveau des articulations majeures qui sont livrées à un parfait intuitionnisme.
Il me semble qu'aucun enfant qui a étudié les sciences physiques et les sciences de la vie et de la Terre n'a besoin qu'un philosophe pose péremptoirement la distinction entre le physique et le vital, avant de parler du psychologique et du social. Ces distinctions sont posées intuitivement par le philosophe et ne viennent pas de lui. Je pense ici à la métaphysique de la Nature de Simondon où l'assemblage des notions clefs n'est rien d'autre qu'un jeu intuitionniste. Ce n'est pas de la philosophie, malgré quelques raisonnements poussés sur des points de détail. Quant à expliquer en deux coups de cuillère à pot que l'être ne doit pas se concevoir à partir de l'idée de substance éternelle, mais à partir de la notion de devenir, ce n'est qu'un jeu d'habillage conceptuel et cela est justifié de manière sommaire dans l'oeuvre de Simondon. Cela n'amène rien de neuf sinon le nouvel habit subtil lui-même, tautologie donc desservant l'intuitionnisme qu'il vaut mieux penser le réel en devenir qu'en combinaison d'éléments stables, et tout cela est si sommairement présenté par Simondon que cela n'a pas fait l'objet d'une mise au point philosophique, mais que cela relève bien plutôt d'un intuitionnisme se voulant de plus de "bon sens" qui passe vite au développement supérieur de toute une conception bricolée de ce que serait la Nature en son évolution même. Et toute cette conception n'est fine que de la reconduction de nouvelles mises au point scientifiques étrangères à l'histoire de la philosophie. La métaphysique de la Nature ne relève pas d'une démarche philosophique, mais d'une simple adaptation du discours philosophique aux acquis scientifiques d'une époque. La conception de Simondon essaie de conserver l'idée d'un devenir buissonnant perpétuel indéterminable, mais la part indéterminable n'est rendue que sous la métaphore grossière de "l'énergie potentielle", laquelle se confond volens nolens avec tout ce que la science n'arrive pas à résoudre, et donc avec le report éternel d'un horizon d'attente scientifique. On nuancera seulement en se disant que, pour l'auteur, la physique quantique semble toucher à la limite ultime et rencontrer l'indéterminable définitif ou quelque chose d'approchant, mais cela ne change rien, ce sera toujours le mystère rebelle à la science.
Le discours global de Simondon, rien qu'un intuitionnisme, Foucault un non pondéré qui veut briller, Deleuze du pipeau littéraire avec des métaphores non justifiées de machine désirante et de schizo-analyse. J'envisage vraiment de m'en prendre à tout cela. Je suis effrayé par la réputation de ces gens-là.

Nota Bene: ceci est encore une esquisse et illustre mal mon propos. Je parle bien de Simondon et Deleuze comme de choses entendues auprès du lecteur.
Pour l'instant, c'est le coup de gueule. Mais, je crois que plusieurs lignes de ce qui précèdent sont déjà assez claires. J'énonce quelques vérités simples qui sont de véritables menaces pour les pseudo-philosophes.
J'essaierai par la suite de me limiter à un objet d'étude et à exposer le problème aussi clairement que possible. Un des procédés les plus cruels risque d'être le commentaire d'exemples.

7 commentaires:

  1. Alors autant je suis d'accord sur le verbiage des Deleuze, et sur les distinctions inutiles là où il y aurait besoin de vraies mises au point, définitions... autant je ne suis absolument pas d'accord sur les métaphores. Tu parles de Jankélévitch, que penses-tu de Pascal ? Pour moi ces auteurs ont un peu le cul entre les deux chaises poétique et philosophique, tout en se gargarisant de leur facilité littéraire.

    Tout dépend de la définition qu'on pose de la philosophie au départ. Pour moi il n'y en a pas, chaque philosophie mérite sa propre définition.

    Je comprends que la métaphore puisse être une distraction, un voile improductif dans le cadre de certains systèmes, mais elle peut aussi au contraire être l'essence même de certaines philosophies, idéalistes par exemple. Où l'on rejoint la poésie. La frontière est très fine pour moi, à l'aune de Mallarmé, Pascal, allez Shakespeare même. Si tu pouvais pondre un article sur la poésie et la philosophie, ça me ferait plaisir tiens haha.

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  2. Que serait Platon sans ses métaphores ?

    Sinon j'oubliais dans le commentaire précédent de te demander ta définition de la philosophie. Indispensable avant le coup de gueule.

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  3. Je vois les messages, j'y répondrai plus tard. Platon est un disciple strict de Socrate, je ne crois pas du tout à l'autonomie platonicienne. Il suffit de lire les textes pour s'en rendre compte. Les métaphores de Socrate, donc, sont comme il le dit lui-même des fautes de mieux (Phèdre). Alors qu'au vingtième siècle, ce sont soit des cache-misères, soit des approches non spécifiquement philosophiques.
    Ton raisonnement est contradictoire:"tout dépend de la définition qu'on pose, mais, pour toi, il n'y en a pas". Autre contradiction: "pas de philosophie, mais des philosophies", tu ne peux pas d'un pluriel, si tu n'admets une définition générale au singulier.

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  4. Je corrige, il y a un "ding" quand je tapais: tu ne peux pas utiliser un pluriel, si tu n'admets pas une définition générale au singulier.
    Mallarmé philosophe, bigre!

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  5. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  6. Pardon, j'avais totalement oublié cet article. Je ne vois pas vraiment de contradictions en fait, si ce n'est l'ordre de mes phrases et une petite maladresse. C'est peut-être de l'anti-grammaire, mais j'assume totalement de partir de définitions plurielles de la philosophie, sans passer par une vision globale.
    Ou alors une vision vraiment très large, un synonyme de "questionnement" peut-être, une extension de la perception. Ce qui n'exclut pas grand-chose, on est d'accord.

    En revanche le ton, le contenu et le titre-même de ton exposé laissent à penser qu'il y a pour toi une définition bien plus exclusive de la philosophie. Je te demandais donc, quelle est-elle ?

    (je ne crois pas être de ceux qui pensent que chacun voit midi à sa porte, je pense juste qu'il y a pas mal de midis à voir à chaque porte)

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  7. Oui, j'ai une définition plus exclusive de la philosophie qui me fait contester Ainsi parlait Zarathoustra comme ouvrage de philosophie et aussi un nombre considérable d'ouvrages du XXème siècle.
    Dès que j'ai un peu de jus pour une réponse, je m'y essaierai.

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