lundi 24 octobre 2011

A propos de schémas théoriques appliqués aux contes.

Les impasses du schéma narratif

Le schéma narratif est une bricole théorique enseignée à l’heure actuelle en début de chaque année de Collège (6ème, 5ème, 4ème et 3ème). Il s’agit de sélectionner un récit qui respecte la chronologie des événements et puis de s’attacher à repérer les cinq étapes suivantes : situation initiale, élément perturbateur, péripéties, élément de résolution et situtation finale. Ce jargon ne veut rien d’autre que ceci. Dans un récit, il va y avoir toute une série d’actions, mais, pour ne pas nous mettre directement le nez dedans, l’auteur va d’abord commencer par une petite présentation. Pareillement, à la fin de son récit, après le dernier événement important, il va prendre la peine de faire un petit topos, il va décrire l’état qui résulte de tout ce qui s’est passé. La situation initiale et la situation finale ne sont donc rien d’autres qu’une introduction et une conclusion, une présentation et un petit bilan sur la vie des personnages après l’action. Evidemment, on pourra comparer les différences, voire oppositions, entre situation initiale et situation finale entre certaines histoires. Passons maintenant aux actions qui s’enchaînent sur trois étapes : l’élément perturbateur, les péripéties, l’élément de résolution. Les péripéties sont normalement, en principe, généralement, la partie la plus longue du récit, parce que, tout simplement, il s’agit de l’ensemble des actions du récit sauf deux. Car l’élément perturbateur ne veut rien dire d’autre que la première action, à tel point qu’on ne comprend pas pourquoi cela ne s’appelle plutôt l’élément déclencheur, l’incident premier ou que sais-je encore, et l’élément de résolution n’est rien d’autre que la dernière action du récit.
La distinction entre situation initiale, élément perturbateur et les péripéties est assez facile à opérer dans bien des cas. C’est la distinction de l’élément de résolution et de la situation finale qui pose problème. Tout le monde connaît le mot « dénouement », mais tout le monde ne sait pas qu’il a deux sens. Un dénouement, comme son nom l’indique, cela veut dire qu’une action se dénoue, que le nœud du problème se défait. C’est normalement l’avant-dernière étape dans notre schéma, ce qu’on appelle l’élément de résolution. Mais, comme le dénouement tombe souvent à la fin de l’histoire, il y a un petit dérapage terminologie. Le dénouement ce sera désormais la « situation finale » quand il n’y a plus aucun problème. Cette idée révolte mon sentiment de la langue, mais elle nous est imposée par l’érudition, parce que ce dernier sens aurait eu tendance à s’imposer dans l’analyse théâtrale. Evidemment, ce glissement est né de ce que beaucoup de pièces se terminent dans les derniers vers, comme beaucoup de récits se terminent sur une résolution apportée par la dernière phrase. Ainsi, si vous pensez que le dénouement est la situation finale, vous êtes moins logiques que ceux qui pensent que c’est l’élément de résolution, mais vous avez pour vous d’être un érudit. Nous voilà gâtés. Or, si le schéma narratif nous épargne un emploi controversé du mot « dénouement », il n’en résout pas le problème pour autant puisqu’il feint d’ignorer qu’une quantité élevée de récits n’ont pas de situation finale, mais une chute brutale et rapide.
Illustrons le problème. Dans Le Petit Chaperon rouge de Charles Perrault, attachons-nous à distinguer les cinq étapes. La première étape va correspondre au premier paragraphe. La jeune fille au chaperon rouge est aimée de sa mère et sa grand-mère en est plus folle encore.
La toute première action se trouvera dans le second paragraphe. L’enfant est envoyée chez sa « mère-grand » par sa mère. Nous passons de la présentation du premier paragraphe au récit d’un événement singulier. Un enfant de 11 ou 12 ans rencontrera toutefois des difficultés à ce niveau, car il convient de lui signifier clairement que tout n’est pas dit dans la situation initiale. L’enfant étudie un modèle de schéma narratif où il lui est affirmé que la situation initiale présente le cadre (autrement dit le moment et lieu) et les personnages. Notons pourtant que le loup n’apparaît dans aucun des deux premiers paragraphes. Il n’apparaîtra que dans les péripéties. Ce délai peut mettre en souffrance l’élève. Il n’ira peut-être pas jusqu’à étendre la situation initiale à la rencontre avec les loups, d’autant qu’il a une tendance naturelle à s’appuyer sur le découpage en paragraphes, mais, pour lui, l’élément perturbateur sera plutôt la rencontre avec le loup plutôt que la simple demande de la mère, d’autant qu’un enfant ne peut pas comprendre ce que la mission confiée par la mère a en soi de perturbateur. Ce qui évite les erreurs, c’est que d’une manière très artificielle on habitue les élèves à reconnaître la première action en s’appuyant sur les compléments circonstanciels des deux séries suivantes : « Un jour », « Un matin », « Une nuit », ou « Tout à coup », « brusquement », « soudain ».

Il était une fois une petite-fille de village, la plus jolie qu’on eût su voir ; sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge qui lui seyait si bien, que partout on l’appelait le Petit Chaperon Rouge.
Un jour, sa mère, ayant cuit et fait des galettes, lui dit :
« Va voir comme se porte la mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade, porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. »
Le Petit Chaperon Rouge partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois elle rencontra compère le loup, qui eut bien envie de la manger, mais il n’osa à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt. […]

Normalement, le procédé artificiel marche et la plupart des élèves vont considérer le premier paragraphe comme la situation initiale et le second paragraphe comme l’élément perturbateur. Ils se posent probablement des questions sur le passage de l’élément perturbateur aux péripéties, mais les taisent. En revanche, ils sont complètement détournés de la moindre réflexion sur la situation initiale. Ils n’ont aucune conscience de la contradiction patente entre le découpage au demeurant légitime qu’ils ont effectué et le modèle étudié. Passons sur le caractère imprécis du cadre qui est présenté comme caractéristique du conte merveilleux aux élèves de 6ème. C’est la question des personnages qui a ici son importance. Le premier paragraphe n’a présenté que deux personnages importants : la jeune fille et la « mère-grand » et un personnage secondaire : la mère. Le loup n’a pas encore été présenté, il n’apparaîtra qu’au milieu des péripéties. On le voit ! Tout ce qui est demandé à un enfant, c’est d’identifier la première action dans un récit. Il convient de lui taire les contradictions de la démarche d’entraînement pour qu’il y arrive. Pourquoi dans ce cas-là, ne pas renoncer au modèle théorique et entraîner simplement les enfants à identifier la première et la dernière actions d’un récit ? Le modèle théorique enseigné de manière exhaustive est faux. Dans sa forme minimale, il est creux. Il s’agit donc d’un enseignement parfaitement inutile qui n’encourage pas le recul critique, puisque, au contraire, il faut interdire tout recul critique pour que la plupart des élèves parviennent à « dominer » les entraînements ou « cas pratiques ».
Revenons justement à notre exercice, les péripéties suivent leurs cours. Il faut maintenant repérer la dernière action, l’élément de résolution, qui précèderait une situation finale.
Tout le monde connaît l’histoire. Le loup obtient de la jeune fille tout ce qu’il veut savoir, il l’envoie sur le chemin le plus long, se rend chez la mère-grand, la mange, prend sa place. La jeune fille finit par arriver et minimise son inquiétude quand elle entend la grosse voix du loup au lieu de celle de sa mère-grand. Le loup l’invite à la rejoindre dans le lit, ce qui a sa signification au second plan de lecture, lequel est précisé par la moralité en vers. Dans le lit a lieu le célèbre échange autour de l’anatomie peu féminine du loup. Le dialogue est d’autant plus cruel que l’enfant ignore le danger et que le loup joue avec sa proie par une série de feintes. Le dialogue se poursuit jusqu’à ce que la jeune fille parle de ses grandes dents, le loup répondant « C’est pour mieux te manger. » La dernière action vient alors, mais il se trouve que c’est justement la dernière phrase du conte dans un récit à chute.

Et en disant ces mots, ce méchant loup se jeta sur le Petit Chaperon Rouge, et la mangea.

Voilà l’élément de résolution, et il ne reste donc plus de texte pour désigner une situation finale. Il convient ici de présenter un schéma narratif en quatre étapes. Le conter est suivi d’une Moralité, mais il n’est pas souhaitable de duper les élèves en leur faisant avaler des couleuvres. La moralité en vers est en marge du récit, comme un élément hétérogène.
Passons à un autre conte de Perrault maintenant, Les Fées. Dans ce conte, le découpage des deux premières étapes est plus difficile. La situation initiale est d’une certaine étendue et la première action ne survient qu’à la dernière phrase du second paragraphe :

[…] Un jour qu’elle était à cette fontaine, il vint à elle une pauvre femme qui la pria de lui donner à boire.

Avant d’arriver à cette première action, l’introduction du récit a suivi un parcours sinueux. Une veuve et ses deux filles ont été présentées, puis un paragraphe s’est concentré sur les souffrances de la cadette et le lieu de la fontaine a été incidemment présenté en manière de transition. L’enfant va s’y retrouver uniquement en se fondant sur l’identification mécanique du groupe complément circonstanciel de temps « Un jour qu’elle était à cette fontaine… » Là encore, l’attention de l’élève doit être strictement détournée de la présence d’actions dans la situation initiale, puisque les taches ménagères de la cadette sont en soi des actions. Le pouvoir intuitif discriminant de l’enfant peut sans doute peser quelque peu dans ses choix, mais le schéma narratif annihile la réflexion au profit d’une opération mécanique.
Les péripéties suivent alors leur cours, mais il y a un petit problème. L’épreuve de la fontaine va se répéter deux fois. La cadette connaît l’épreuve auprès de la fée et son honnêteté est récompensée. L’aînée passe à son tour l’épreuve, et sa malhonnêteté (brutalité, impolitesse) est punie. Pour avoir aidé la fée déguisée en vieille dame, la cadette produit des fleurs et des diamants par la bouche quand elle parle ; pour avoir insulté et négligé d’assister la fée déguisée en princesse, l’aînée crache des serpents et des crapauds quand elle ouvre la bouche. Certes, les deux épreuves sont soumises à un enchaînement rigoureux. En voyant ce qui a réussi à la cadette, la mère a envoyé l’aînée à la fontaine à son tour. Ces deux épreuves sont également suivies par une autre série rapide d’actions. La mère rend la cadette responsable du malheur de l’aînée et veut la battre. La malheureuse s’enfuit et découvre un fils de roi qui écoute son récit et l’épouse. Cette rencontre du prince vaut comme élément de résolution, mais pose problème en termes d’établissement du schéma narratif. L’élément perturbateur et l’élément de résolution concernent le seul sort de la cadette. Le double problème, c’est qu’une partie des péripéties concerne l’aînée et que tout le conte se fonde sur la comparaison des deux sœurs. La situation initiale présentait l’opposition de caractère des deux sœurs et l’attitude paradoxale de la méchante mère qui était folle de la méchante fille et détestait la cadette et ses qualités. Les péripéties concernent chaque sœur tour à tour. Chacune passe une épreuve avec la fée, d’où ce pluriel étrange du titre. Mais, la fin des péripéties ne concerne que la cadette et il en va de même pour l’élément de résolution. Or, après avoir précisé le mariage de la cadette avec le fils du roi, le récit se prolonge par une description du sort de la fille aînée seule. Nous aurions donc une situation finale portant sur la seule fille aînée.
Pour donner un semblant de schéma narratif, on peut isoler un temps de la rencontre avec le fils du roi. La renconte avec un prince compatissant sera un élément de résolution suffisant, ce qui permet de conserver une partie de paragraphe pour concevoir une situation finale qui compare les deux filles et souligne l’intention morale du conte. Il convient alors de découper l’élément de résolution au milieu d’une phrase même du texte : « … et considérant qu’un tel don… », ou bien de séparer les trois paragraphes suivants, deux dans les péripéties, un comme élément de résolution :

Le fils du roi qui revenait de la chasse la rencontra et la voyant si belle, lui demanda ce qu’elle faisait là toute seule et ce qu’elle avait à pleurer.
« Hélas ! monsieur, c’est ma mère qui m’a chassée du logis. »
Le fils du roi, qui vit sortir de sa bouche cinq ou six perles, et autant de diamants, la pira de lui dire d’où cela lui venait. Elle lui conta toute son aventure. Le fils du roi en devint amoureux, et considérant qu’un tel don valait mieux que tout ce qu’on pouvait donner en mariage à un autre, l’emmena au palais du roi son père et l’épousa.

Les découpages sont évidemment artificiels et c’estr celui opéré au milieu de la phrase qui apparaître inévitablement comme le meilleur, puisque l’idée est simplement de mettre en parallèle le devenir de la cadette et celui de l’aînée. Nous avons alors un bout de phrase qui nous montre la cadette mariée royalement et aimée face au hors-d’œuvre sur le sort de l’aînée qui, seule avec sa mère, finit par s’en faire détester et être chassée jusqu’à mourir seule dans un bois.
Le schéma narratif sauve ainsi les apparences. Le problème, c’est qu’en réalité ce conte fondé sur la symétrie de deux destinées a deux fins. La structure réelle du conte est la suivante : présentation des deux sœurs dans leur cellule familiale, épreuve de la cadette, scène de transition avec la mère, épreuve de l’aînée, (avec un petit art de la transition) souffrance de la cadette chassée qui découvre sa solution dans la rencontre des gens biens qui lui correspondent, l’idée étant que pour la seconde fois la gentillesse de la jeune fille montre sa capacité à se tourner vers l’extérieur, sans transition sort de l’aînée qui est chassée à son tour par la mère, la méchanceté tournant en excès, et qui se réfugie à son tour dans un bois. Le conte finit par un parallèle discret « alla mourir au coin d’un bois ». En réalité, l’aînée est incapable de rencontrer quelqu’un de secourable, ce qu’elle n’est pas elle-même. Même la mention « au coin d’un bois » et non « au fond d’un bois » a son importance. Le récit se partage donc en deux fins et c’est le parallèle de ces deux fins qui achève d’éclairer le sens de l’histoire. Du coup, on peut observer que Perrault ne se soucie nullement de proposer une situation finale dans ces contes. Le récit sur la cadette se termine par l’élément de résolution, le mariage ; le récit sur l’aînée se termine par une résolution dramatique : la mort au coin d’un bois. Perrault et Andersen sont les principaux auteurs de contes merveilleux ; ils me paraissent autrement importants que les frères Grimm et autres. Or, le shcéma narratif ne s’applique pas, à tout le moins, à deux des contes les plus connus de Perrault, ce qui est d’autant plus frappant que ce genre de schéma semble avoir été mis au point à partir d’observations sur les contes.
Des aménagements sont nécessaires. La situation finale est facultative. C’est un premier point. Ensuite, les histoires parallèles dans certains récits peuvent obliger le lecteur à considérer qu’il existe des cas de dédoublements de certaines étapes. Encore cela n’est-il pas si simple. La fin du récit sur la cadette et la fin du récit sur l’aînée supposent chacun plusieurs actions, donc un peu de péripéties avant un élément de résolution. L’étude du schéma narratif devient dès lors bien délicate pour des élèves de 6ème qui n’en sont qu’à l’initiation.
Certes, on peut choisir de sélectionner certains textes et non d’autres pour étudier ou découvrir le schéma narratif, mais le schéma est présenté comme s’appliquent à tout conte, voire à tout type de récit chronologique. Or, les contes de Perrault sont de loin les plus importants de tous les contes merveilleux (le projet des frères Grimm n’étant qu’une pâle imitation affadie et maladroite de leur prédécesseur, sans parler du problème de la longueur des récits) et il est inévitable d’en étudier un ou deux en classe de 6ème puisque le genre du conte fait partie du programme.
Passons maintenant à la figure d’Andersen. C’est à mon sens l’auteur de contes le plus important après Perrault. Les récits d’Andersen sont assez longs, mais il en est un court qui ne manque pas de charme : La Princesse sur un pois (titre qui varie selon les traductions). Je possède une version de ce conte en 31 lignes et sept paragraphes. Le conte a été préalablement découpé en cinq parties. Dans la marge gauche apparaissent cinq crochets accompagnés respectivement des lettres A, B, C, D et E. Il ne manque plus à l’élève que de reporter le nom des cinq étapes successives du shéma narratif. Le découpage s’est paresseusement fondé sur le découpage en paragraphes. Chaque étape comporte un paragraphe, sauf les péripéties qui en comptent deux et, par exception, la situation finale. Nous allons pourtant très vite éprouver les limites du découpage. Le premier paragraphe présente un seul personnage de l’histoire, le prince. Il va de soi qu’il convient de proposer l’aménagement suivant, selon lequel la situation initiale est une présentation sommaire qui s’appuie soit sur le cadre, soit sur l’un ou l’autre personnage, soit sur l’ensemble cadre et personnages. La présentation exhaustive est loin d’être systématique.
Comme la situation initiale sert de présentation, qu’elle décrit, puisqu’il ne s’y trouverait pas d’action, certains modèles théoriques affirment qu’il n’y a pas de passé simple dans la situation initiale, il n’apparaîtrait que dans l’élément perturbateur, la seconde étape qui entame l’histoire proprement dite des actions et événements. Le problème, c’est qu’une présentation peut impliquer des actions et c’est le cas de notre situation initiale, du moins si nous acceptons un découpage fondé sur les paragraphes. Notre situation contient deux verbes conjugués au passé simple : « Il fit donc le tour du monde… » et « Il finit par rentrer chez lui… » Il convient donc de ne pas enseigner aux élèves que le passé simple est strictement exclu de la situation initiale. Dans tous les cas, leur attention sera ici annulée par deux faits. Le découpage a été préalablement établi, ils n’ont plus qu’à reporter les étapes dans le bon ordre en face des bonnes lettres, ce qui n’exige même pas la moindre lecture du texte. Ensuite, un regard rapide sur le texte leur révèle que le second paragraphe débute par par le groupe nominal complément circonstanciel de temps « Un soir », ce qu’ils identifient comme un avertisseur scolaire d’élément perturbateur. Les élèves étant spontanément favorables au découpage en fonction des paragraphes, tout le reste passera aussi finalement. Je crois pourtant que cela mérite une étude attentive. Voici ce conte :

La Princesse sur un pois

Il y avait une fois un prince qui voulait épouser une princesse véritable. Il fit donc le tour du monde pour en trouver une, et, à la vérité, les princesses ne manquaient pas, mais il ne pouvait jamais être sûr que c’étaient de vraies princesses. Il finit par rentrer chez lui, bien affligé de n’avoir pas trouvé ce qu’il désirait.
Un soir, il faisait un temps horrible, les éclairs se croisaient, le tonnerre grondait, la pluie tombait à torrents, c’était épouvantable ! Quelqu’un frappa à la porte du château, et le vieux roi s’empressa d’ouvrir.
C’était une princesse. Mais, grand Dieu ! Comme la pluie et l’orage l’avaient arrangée ! L’eau ruisselait de ses cheveux et de ses vêtements, entrait par la pointe de ses souliers et sortait par le talon. Néanmoins, elle se donna pour une véritable princesse.
« C’est ce que nous saurons bientôt ! » pensa la vieille reine. Puis, sans rien dire, elle entra dans la chambre à coucher, ôta toute la literie et mit un petit pois au fond du lit. Ensuite, elle prit vingt matelas qu’elle étendit sur le pois et encore vingt édredons qu’elle entassa par-dessus les matelas. C’était la couche destinée à la princesse. Le lendemain, on lui demanda comment elle avait dormi. « Bien mal ! répondit-elle. C’est à peine si j’ai fermé les yeux de toute la nuit ! Dieu sait ce qu’il y avait dans le lit ! C’était quelque chose de dur qui m’a rendu la peau toute violette. Quel supplice ! »
A cette réponse, on reconnut que c’était une véritable princesse, puisqu’elle avait senti un pois à travers vingt matelas et vingt édredons. Quelle femme, sinon une princesse, pouvait avoir la peau aussi délicate ?
Le prince, bien convaincu que c’était une princesse, la prit pour épouse, et le pois fut placé au musée, où il doit être encore, à mpoins qu’un amateur ne l’ait enlevé.
Voilà une histoire aussi véritable que la princesse !

Je reprends ici la version d’un manuel de 6ème, la traduction par Anne-Mathilde Paraf, tirée d’un recueil des ses Contes aux éditions Gründ (1966). En réalité, ce découpage est complètement artificiel. Il se fonde sur la distribution en paragraphes et le complément circonstanciel de temps « Un soir » pour rassurer l’élève. Il est vrai que l’idée de minimiser l’importance du tour du monde déjà effectué par le prince peut se comprendre. Mais cette compréhension ne va pas sans déplacement des lignes du modèle théorique. En effet, si élément perturbateur il y a, ce doit être dans la psychologie du prince qui nous est présenté comme « voulant épouser une princesse véritable ». A cette aune, situation initiale et élément perturbateur se confondent dans la première phrase du récit. Le tour du monde serait la première épreuve du prince, avant que la chance ne lui présente la seconde épreuve avec princesse à la porte. Ce schéma est bien celui des Fées, je ne fais aucune difficulté à l’admettre ici. Pour moi, il est douteux que la situation initiale puisse inclure le tour du monde lui-même. J’aurais l’air alors de rentrer dans le rang en ce qui concerne l’interdiction du passé simple pour la situation initiale, mais je ne citerai pas ici d’exemples possibles de situations initiales dans une nouvelle pour montrer que je me moque de l’interdiction. Hélas, plus encore que la fusion élément de résolution et situation finale, la fusion situation initiale et élément perturbateur est prohibée dans l’enseignement du schéma narratif. Il convient donc de jouer un jeu hypocrite. La situation initiale va s’étendre à tout le premier paragraphe et inclure les premières actions du prince dans une forme d’illustration de son débat intérieur. Jusque là, la situation initiale n’a d’ailleurs rien en soi de choquant. Ce qui va me choquer, c’est l’équilibre qui en résulte pour la suite des autres étapes. L’élément perturbateur et l’élément de résolution sont donc la première et la dernière actions dans la série des événements qui font l’histoire. Mais si on n’admet pas que l’élément perturbateur n’est autre que le désir du prince, on se retrouve dans un modèle théorique bâtard qui tolère que ce qui pose problème soit exprimé dans la situation initiale et non dans l’étape de l’élément perturbateur. Ici, l’étape de l’élément perturbateur porte particulièrement mal son nom. La perturbation, c’est le coup de la véritable princesse à la porte. Et si vous lisez bien le découpage qui nous est proposé, l’élément perturbateur se réduit à la question : « Tiens ! Qui frappe à la porte ? » Interrogation qui est commune au roi, à la reine et au prince, sans avoir encore été rattachée au souci intérieur particulier au prince. C’est dans la première phrase de péripéties que se rejoignent le trouble de la situation initiale et la question prosaïque de l’élément perturbateur. A la suite des péripéties, le découpage propose comme élément de résolution un paragraphe entier dont le ressort thématique est évident : « A cette réponse, on reconnut que c’était une véritable princesse… » Mais, du coup, nous avons un équilibre étrange entre un élément perturbateur « Qui frappe à la porte ? » et un élément de résolution qui répond à une bien autre question : celle de l’authenticité de la princesse, élément de résolution qui résout encore un autre problème, mais un problème qui a été formulé non pas dans les péripéties, ni dans l’élément perturbateur, mais dès la situation initiale. Bref, évident sur le papier, le découpage n’a aucune cohérence interne. Sa seule vérité en termes de schéma narratif, c’est qu’il distingue bien la première et la dernière actions de l’événement essentiel du récit, ce qui est un peu maigre pour permettre que cela soit relayé par toute la pompe théorique du schéma narratif. Les élèves de 6ème ne comprendront rien au schéma narratif à partir d’une telle illustration. Maintenant, va-t-on s’amuser à créer de toutes pièces des œuvres littéraires dérisoires pour se donner le plaisir d’identifier le schéma. C’est renoncer à l’enseignement de la littérature me semble-t-il. Je ne vois guère que les contes du pourquoi et du comment pour permettre un enseignement possible du schéma narratif à partir de l’étude de textes. Il s’agit de toute façon de littérature seconde sur laquelle il n’y aura pas à s’attarder.
Admettons donc que le schéma proposé pour La Princesse sur un pois soit jouable, à moins de remaniements étendant l’idée d’élément perturbateur sur une partie du début du troisième paragraphe, quand l’intérêt se porte enfin sur l’authentification de la princesse. Maintenant, il faut se pencher sur les deux paragraphes de situation finale. L’un présente deux actions, le mariage du prince et de la princesse puis le transport du petit pois au musée. Le modèle théorique du schéma narratif veut que les situations initiale et finale soient stables, et sans action. L’idée de stabilité n’est pas en soi des plus claires. Dans la situation initiale, le prince est en perpétuelle détresse, serait-ce de la stabilité ? Une restriction de la situation finale ne cadre guère avec l’idée de stabilité. Le narrateur se demande si quelqu’un n’a pas enlevé le petit pois depuis. Evidemment, il y a un effet de conclusion avec élargissement du cadre temporel qui sera perceptible à l’élève dans la situation finale, comme dans la situation initiale d’ailleurs. Mais, la dernière phrase fait-elle partie du schéma narratif : « Voilà une histoire aussi véritable que la princesse ! » L’assimilation de la morale d’une histoire a une situation finale me paraît déjà ouvertement contestable, mais le tour interrogatif sous-entendu de cette phrase ironique montre bien ici qu’il conviendrait d’accorder à cette phrase sa dimension de surplomb par rapport au récit. Nous ne sommes plus dans le récit stricto sensu et la mention « cette histoire » englobe les six paragraphes précédents. A tout le moins, il faut dénommer une sixième étape qui isolerait cette phrase. Il serait peut-être de se demander si la somme de travail pour élaborer la théorie du schéma narratif a dépassé la demi-heure. Je pense le plus sincèrement du monde que non ! Elle a été créée en cinq minutes et ce ne sont que des fluctuations dans la terminologie et le choix aléatoire des discriminants qui donnent l’impression qu’elle a été patiemment élaborée au fil des années par quantité d’intervenants.
Pour faire un bilan de notre confrontation au conte d’Andersen, nous constatons que le schéma narratif peut s’appliquer au texte, cas à part de la phrase finale, mais cette application demeure cette fois artificielle au plan de l’élément perturbateur. La dénomination « élément perturbateur » pose problème et entre en conflit avec les données psychologiques de la situation initiale qui disent déjà tout de ce qui est fondamentalement la perturbation du récit. Une assimilation indue a été faite entre première action principale et perturbation initiale dans le modèle théorique. Le refoulement par ailleurs d’une action considérée comme secondaire montre aussi que la création d’un conte est assez complexe que pour ne pas accepter bien volontiers de se plier à un schéma narratif universel. La seule réalité d’un schéma narratif, c’est la délimitation d’une première action principale et d’une dernière action principale, ce qui suppose une capacité empirique à distinguer des actions secondaires d’un corps d’actions principales. La cohérence repose ici sur des facteurs qui n’entrent pas en ligne de compte dans le modèle théorique. Le tour du monde n’est que résumé, bien qu’il implique la durée. Les actions principales ont leur cadre celui d’une nuit qui va d’un soir de pluie au réveil de la princesse. Ainsi, le schéma narratif ne se justifie pas par lui-même, mais par des arguments externes.
Continuons. Penchons-nous maintenant sur un conte récent expressément prévu pour l’enseignement. Il s’agit de la nouvelle Cœur de lion qui s’étudie généralement en début d’année de 5ème, mais qui l’est parfois encore en début d’année de 4ème. Le texte a l’inconvénient au Collège de ressembler à de la littérature bébé. En réalité, il n’est pas évident d’y intéresser des élèves au-delà d’une classe de 5ème. Ce texte permet toutefois de se pencher sur l’idée de chute dans un récit et sur le phénomène des reprises nominales. La lecture se fait normalement par dévoilement progressif des trois parties (ici séparées par des blancs), ce qui peut être raccourci sans peine en une lecture en deux parties.

Cœur de Lion

Il était si courageux qu’on l’avait appelé Cœur de Lion. Ni le tonnerre, ni la pluie, ni le vent en rafales ne lui faisaient peur. Pas même la nuit et ses ombres inquiétantes et ses bêtes cachées et ses bruits bizarres. Rien ne l’effrayait. Jamais.
Aussi était-il devenu le héros de sa communauté. Quand on lui avait donné son surnom, il en avait été très fier, et il se promenait, la tête haute, la moustache arrogante, en répétant sans arrêt et très fort pour qu’on l’entende :
– Je m’appelle Cœur de Lion et je n’ai peur de rien ni de personne !

Un jour qu’il passait près d’une mare, il entendit un appel au secours. C’était une grenouille qui s’était coincée la patte dans une racine. La pauvre tirait vainement sur sa patte, rien à faire. Peu à peu, elle perdait ses forces et allait s’évanouir. Or, tapie sous une roche, la redoutable couleuvre d’eau n’attendait que ce moment pour se précipiter sur le batracien et l’avaler tout cru.
Cœur de Lion ne fit ni une ni deux.
Lui qui détestait l’eau, il n’hésita pas à se mouiller ; il trancha la racine et délivra la malheureuse. Il était temps, la couleuvre, déjà, déroulait ses anneaux.
Une autre fois, ce fut une fourmi qu’il tira d’embarras. L’inconsciente s’était fourvoyée dans la toile sucrée de l’épouvantable épeire. Il arriva juste à temps pour retirer la fourmi des pattes de la tisseuse.
Cœur de Lion, enhardi par ces succès, décida de quitter son pays.
T – Il faut, dit-il que le monde entier admire mon courage, applaudisse à mes exploits.
On essaya de le retenir. Rien n’y fit. Ni les pleurs de sa mère, ni les mises en garde de son père. Il partit un beau matin, droit devant lui et sans se retourner.
Il n’alla pas loin.

Au premier détour de la haie, il rencontra une patte. Une grosse patte de chat. C’était Finaud, le matou des fermiers, un matou matois qui guettait depuis quelque temps la sortie du nid des mulots. Cœur de Lion finit son voyage dans l’estomac d’un chat. On a beau s’appeler Cœur de Lion, quand on n’est qu’un mulot, il vaut mieux prendre ses précautions.
Essayons d’appliquer le schéma narratif à ce texte. La méthode mécanique va nous inviter à considérer que la première partie est la situation initiale. Elle est déjà assez longue. L’élément perturbateur serait repérable par la mention « Un jour qu’il passait près d’une mare, […] ».
Evidemment, on peut hésiter à faire rentrer une ou deux phrases dans l’étape de l’élément perturbateur. On peut ne pas se contenter de « … il entendit un appel au secours » et inclure la phrase suivante : « C’était une grenouille… » Peu importe ici. Les péripéties s’enchaînent donc. Inévitablement, l’élément de résolution figure dans la troisième partie qui contient la chute. Il va s’agir des premières phrases de ce paragraphe pour laisser une chance à la situation finale de figurer. L’élément de résolution sera donc la rencontre avec la grosse patte en incluant la description du chat Finaud qui est sur le même plan. La situation finale contiendra évidemment la phrase : « Cœur de Lion finit son voyage dans l’estomac d’un chat. » Je serais réticent à considérer que la morale fasse partie de la situation finale, ce qui sera inévitablement le cas dans les analyses en schéma narratif, pusiqu’aucune sixième étape isolane la morale n’a été prévue. On remarquera que pour autant la morale est enchaînée au récit par la mention ironique du héros Cœur de Lion.
Tout a l’air donc de parfaitement fonctionner. Le découpage ne poserait aucun problème, en-dehors de cette vétille de sixième étape. Le problème, c’est que la situation initiale très longue met déjà en place la véritable perturbation à la source du récit. Avec sa moustache arrogante, le héros sans peur Cœur de Lion a un problème de fierté. Cela nous est enseigné en toutes lettres dans la situation initiale. Les tenants d’un modèle théorique qui permet à la situation initiale de délivrer de prime abord la problématique du texte n’y trouveront rien à dire, sauf que cette présence est quelque peu aléatoire et non pas systématique. Mais, c’est la question de l’élément perturbateur qui continue de m’intéresser. Décidément, sa dénomination est bâtarde.
Mais, la situation s’aggrave ici d’un autre problème. Les péripéties ne s’enchaînent pas ici en une seule suite d’actions. Nous avons une juxtaposition de trois actions, avec une transition et une gradation de la deuxième à la troisième. Ce qui fait treosi perturbations et trois résolutions pour trois actions bien distinctes. Première perturbation : appel au secours de la grenouille. Peu de péripéties, la grenouille est sauvée. L’action est terminée. Le récit enchaîne alors et propose une seconde perturbation qui n’est appelée par rien. Le récit de cette deuxième action est introduit par un retentissant « Une autre fois » symétrique du « Un jour qu’il passait près d’une mare… » Mais, en outre, il n’est pas chronologique. Le résultat : la fourmi sauvée par Cœur de Lion, précède le récit de l’aventure.
Arrive alors un effort de transition et synthèse avant la troisième action : « Cœur de Lion, enhardi par ces succès,… » On peut considérer qu’il s’agit du liant nécessaire pour justifier la gradation et l’enchaînement des actions. Il n’en reste pas moins que les deux premières actions ne sont pas liées entre elles et ne sont qu’une introduction à l’action principale, ce qui rend l’application du schéma narratif extrêmement superficielle. Enfin, rappeler que notre héros est « enhardi par ces succès », c’est signalé qu’au-delà du démarrage de chacune des deux premières actions, la perturbation originelle vient de ce que notre héros est devenu d’une fierté sotte à cause de sa réputation. D’ailleurs, il est déjà un héros dans la situation initiale et les deux premières actions ne valent que comme des illustrations de cette bravoure aveugle. Je ne vois donc pas au nom de quoi on peut prétendre un élément perturbateur dans le fait qu’un jour il entendit l’appel au secours d’un personnage à sauver. Un collégien passera à travers ces subtilités et identifiera le schéma narratif comme cela semble attendu. Mais, qu’aura-t-il appris qu’un procédé de repérage approximatif dont généralement il ne maîtrise déjà pas l’articulation qui consiste à distinguer la suite d’actions d’un couple introduction et conclusion, puisque les terminologies sont conçues de manière à ce qu’il n’y comprenne rien. Les termes sont radicalement incompréhensibles, y compris pour un adulte expérimenté : situation initiale, élément perturbateur, élément de résolution, situation finale, tandis que péripéties est un terme d’érudition qui doit s’apprendre isolément dans un premier temps.
Prenons un dernier exemple avec un conte bref Le Joueur de flûte de Hamelin.
Le texte s’ouvre par une situation initiale typique d’un conte merveilleux. L’époque est imprécise et nous retrouvons la formule « Il était une fois… » Mais, la situation initiale, limitée au premier paragraphe, est particulière. Aucun personnage n’est véritablement présenté. Seul le cadre est fixé, celui d’une ville allemande où les habitants avaient tout pour être heureux.
Le deuxième paragraphe correspond à la deuxième étape, celle de l’élément perturbateur. L’amorce favorise le repérage : « Un jour cependant, ou plutôt une nuit, une drôle de chose se produisit. Des rats, venus d’on ne sait où, envahirent la ville : […] ». Le repérage pourrait s’arrêter là, mais la gradation invite à considérer que tout le paragraphe est dans la seconde étape de l’élément perturbateur.
Suivent alors les péripéties sur un ensemble de plusieurs paragraphes. Cas à part des rats, les personnages principaux n’apparaissent donc que dans cette troisième étape du schéma narratif. Pas même au début des péripéties. Le troubadour n’entre en scène qu’après une première suite d’actions. La phrase qui l’introduit coïncide avec une présentation classique d’élément perturbateur, sauf que cette phrase est au milieu des actions : « Un beau jour, un troubadour passa la porte de la ville. » Le récit s’apparente alors quelque peu au conte Les Fées de Perrault. Le bourgmestre, autrement dit le maire, laisse le troubadour tenter sa chance pour sauver la ville. Le troubadour dit que cela coûtera mille pièces d’or. Le texte laisse ici une certaine latitude à l’interprétation. Le maire est à la fois joyeux de l’idée d’être secouru et, en même temps, il n’a pas une foi particulière dans les capacités du troubadour. Il évoque alors le million de pièces d’or, ce qui montre que le prix demandé n’est pas exagéré. Le troubadour s’en tient à un engagement pour mille pièces d’or. Il chasse les rats à l’aide d’un air de flûte envoûtant. Il joue un air triste et les rats dont la réalité est en soi une tristesse sont attirés. Symboliquement, pour mille pièces d’or, la ville va retrouver la joie. Le troubadour a fait partir la tristesse d’une ville où les habitants avaient tout pour être heureux. Mais, l’ingratitude ne peut pas permettre à la ville d’être heureuse, et cette ingratitude va se manifester dans l’attitude du maire qui refuse de payer le prix demandé et convenu, prix qui avait été admis dérisoire en temps de danger. Le mépris va jusqu’à la remarque insouciante et toujours très symbolique « pour un peu de musique ? » L’ingratitude va être regrettée. Le joueur de flûte entame cette fois un air joyeux, et comme l’air triste avait emporté les rats porteurs de tristesse, l’air joyeux entraîne à sa suite les enfants porteurs de la joie de vivre, les enfants attirés par tout ce qui est la joie, sans doute aussi par ce qui est musique et poésie. La ville se retrouve sans enfants, seul élément indispensable pour qu’une ville puisse jouir de ce qui rend heureux en quelque sorte. Sans les enfants, peu importe les autres éléments de la joie et la ville est plongée dans une tristesse presque aussi sombre que les rats, avec comme phénomène aggravant qu’il n’est pluys guère de solution à espérer visiblement.
L’histoire est facile à découper selon les quatre premières étapes du schéma narratif. Premier paragraphe : situation initiale, second paragraphe : élément perturbateur, paragraphes suivants : péripéties. Mais, l’histoire, encore une fois, n’a pas de situation finale proprement dite. Elle ne peut s’obtenir que par un découpage à l’intérieur de l’élément de résolution.  L’élément de résolution peut impliquer les trois dernier paragraphes ou commencer à la seconde phrase de l’antépénultième paragraphe, à moins qu’on ne se contente des deux derniers paragraphes. Toujours est-il que le récit va se clore sur une phrase d’action :

Il tourna les talons et quitta l’hôtel de ville. Une fois dans la rue, il prit sa flûte et commença à jouer un air joyeux.
Et cette fois, ce fut tous les enfants de la ville de Hamelin qui le suivirent par les rues et les ruelles. Les petits, les grands, les moins grands… Il en venait de toutes parts, qui se joignaient au cortège, et rien, ni personne ne put retenir un seul enfant.
Alors le joueur de flûte quitta la ville et tous les enfants le suivirent.

De manière artificielle, on peut détacher la dernière phrase en considérant qu’elle répète quelque peu ce qui la précède. Si personne ne put retenir un seul enfant, c’est que ceux-ci quittèrent la ville. La forme verbale « suivirent » est reprise d’un paragraphe à l’autre, tandis que l’action de la flûte s’inscrit dans un prolongement. L’action a commencé deux paragraphes plus tôt. Grâce à ce jeu de répétitions, on peut considérer que la dernière phrase se détache de l’élément de résolution et insiste sur l’idée que la ville est vidée de ses enfants, et donc de sa joie. Le texte se définit alors comme un long balancement entre joie de la situation initiale, tristesse de l’élément perturbateur étendu à un premier temps de péripéties, joie retrouvée qui ne sera pas goûtée par ingratitude, action de replonger la ville dans la tristesse, avec opposition morale de la situation initiale et de la situation finale.
Le conte et son balancement ne vont pas sans enseignement, mais il n’en reste pas moins que le conte ne possède réellement que quatre étapes et que seul un artifice dans le commentaire permet de lui supposer une situation finale clairement formulée par le texte, alors que l’idée de situation finale est en hors champ, autre force d’intensité de ce conte particulier.
Les échecs répétés du schéma narratif sur un ensemble de récits aussi canoniques, essentiels et pédagogiquement recommandés me paraît mettre définitivement en doute la pertinence du modèle théorique.

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